François Charles

Le « Grand remplacement », un discours à connotation néofasciste

Alors que, se traduisant par de multiples arrestations d' »opposants », un durcissement de la politique sécuritaire est en cours, le président Kaïs Saïed a jugé bon de se livrer à des déclarations clairement racistes à l’encontre des migrants trans-sahariens transitant par la Tunisie vers l’Europe.

Il affirmait ainsi que la Tunisie avait désormais affaire avec des « hordes d’immigrés » clandestins subsahariens, lesquels étaient à l’origine de « violences et de crimes » sur le sol tunisien. De plus, non content de désigner ainsi nommément des victimes expiatoires à la vindicte, déclaration qui n’a d’ailleurs pas manqué de provoquer, ici ou là, des cas inévitables de maltraitance aux personnes, Kaïs Saïed s’est ouvertement aventuré sur le terrain des idées de l’extrême droite européenne.

En effet, reprenant la rhétorique complotiste des courants politiques néo-fascistes européens, ceux-là même qui gouvernent aujourd’hui l’Italie et sont aux portes du pouvoir français, rhétorique donc, qui voudrait que derrière l’immigration, se cacherait toujours et malicieusement « une entreprise criminelle » dont le but serait de « changer la composition démographique » du pays.

On pourrait se demander, le considérant même comme une curiosité, pourquoi et par quels chemins le dirigeant d’un pays dont les propres ressortissants sont victimes, eux-mêmes, de xénophobie et de racisme institutionnels de la part des pays de l’UE, en vient à utiliser le même argumentaire éculé du « remplacement ethnique », véhiculé depuis des lustres par les pires courants de l’extrême droite européenne. Nombre d’observateurs n’ont d’ailleurs pas manqué de se montrer surpris de cet alignement idéologique sur la droite européenne néo-fasciste.

Une dérive néolibérale surprenante ?

Sachant les exigences de l’UE, et particulièrement de la France, en matière d’immigration, il n’y a certainement pas lieu de s’interroger davantage sur le positionnement dorénavant affirmé de Kaïs Saïeb.

En effet, balayant d’un coup les derniers espoirs de la révolution de 2011, s’en prenant aux libertés politiques et publiques, en  faisant arrêter ses opposants qualifiés de « traitres » et auteurs de « complots », le président tunisien tente de refermer une parenthèse et vise en premier lieu à mettre un terme à toute idée d’indépendance, notamment avec les états de l’UE dont, s’agissant des pays du Maghreb, la France demeure bien sûr l’interlocuteur « privilégié ».

Or, comme l’ont fait avant lui ses prédécesseurs avec les bailleurs de fonds que sont le FMI et la Banque Mondiale, livrant ainsi le pays à la destruction de ses services publics de santé, scolaires, transports…contre l’obtention de prêts à taux exorbitants et endettement abyssal définitif, Saïed vient, quant à lui, faire allégeance à l’Union Européenne et donc, encore et toujours, plus particulièrement à la France.

Connaissant, pour la France, sa politique ultra rigoureuse de « surveillance des frontières » et, s’agissant du reste des pays de l’UE, du contrôle renforcé des mouvements migratoires, on comprend les effets immédiats de l’alignement de la politique de son pays sur ces politiques et leurs effets immédiats.

Par ailleurs, après les vagues d’arrestations massives, visant à la fois des opposants politiques et des hommes d’affaires, accusés pêle-mêle de complot contre la sûreté de l’Etat, tout comme après ses saillies médiatiques  contre les migrants et les immigrés subsahariens installés en Tunisie, Kaïs Saïed peut se targuer d’une totale « neutralité » diplomatique française.

En effet, mis à part quelques faibles critiques de circonstance portant sur le « souhait » que la Tunisie veille à préserver les acquis démocratiques, à « respecter les libertés publiques et les libertés individuelles » et enfin, suite aux arrestations, soulignant la « préoccupation de la France »… Rien ! peanuts ! Autrement dit « circulez, il n’y a rien à voir », charbonnier est maître chez lui et donc, pour le quai d’Orsay, avec une politique migratoire conforme à celle de l’UE et à celle souhaitée par la France, le président tunisien reste un « partenaire » privilégié de la diplomatie française.

« Quoi qu’il en coûte », pour reprendre une terminologie chère à Macron.

Refermer la parenthèse, c’est aussi et surtout, pour Kaïs Saïed, revenir à l’état antérieur, celui où, comme dans les derniers temps de la dictature Benali lorsque, à l’agonie, contre la révolution, elle tentait de se maintenir par la force, à la toute fin 2010, avec Alliot-Marie aux affaires étrangères, Sarkozy envisageait encore de lui faire livrer du matériel de police et paramilitaire de maintien de l’ordre !

Et aujourd’hui, pour rester dans cette veine et ce retour vers le passé, il suffit de se rappeler que, pour le président français, le président tunisien restera, pour l’instant, celui qui, non seulement aura fait reculer les islamistes mais les aura, à ce jour écartés du pouvoir et pour cela, comme pour la mise en place d’un contrôle renforcé sur les flux migratoires à destination de l’UE, qui correspond à ses souhaits, il s’abstiendra de toute critique.

Avec Kaïs Saïed, comme au temps de Ben Ali, la Tunisie demeurera donc le réservoir de main d’œuvre pour les pays du nord mais, fait nouveau, elle se positionne, en quelque sorte elle candidate, pour assurer la régulation de toute cette migration subsaharienne de la misère en fonction de l’offre et de la demande des pays riches.

Offre servile

Gageons que, sans aucun doute usés, fatigués, bafoués par ces reniements sans fin depuis 2011, comme ils l’ont toujours fait, comme ils l’ont fait pour Ben Ali, les tunisiennes et les tunisiens sauront mettre un terme au pouvoir de Kaïs Saïed et renoueront les fils de cet immense espoir tissé en 2011.