• Par François Charles & Romuald Boko
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Alors que, depuis des semaines et des semaines les obus de l’armée russe pleuvent sur l’Ukraine; alors que des dirigeants africains font le voyage en Europe de l’est, soit à Moscou, soit à Kiev pour « discuter » approvisionnement alimentaire avec les protagonistes de cette guerre d’agression; alors que, dans le chaos de ce conflit, des pays européens majeurs, comme l’Allemagne, décident d’un réarmement massif, il est aisé de noter que les grandes puissances vont chercher à tirer profit de la situation ainsi créée.

Un conflit inter impérialiste

Contrairement à une vision « campiste » qui laisserait à penser que la guerre déclarée par Poutine à l’Ukraine serait le seul résultat, « logique », « inévitable », des provocations de l’OTAN en Europe de l’Est et que, au fond, la Russie, comme la Chine, seraient les nouveaux hérauts du combat des pays émergents pour un monde « multipolaire » opposé à l’hégémonie des USA sur le monde. Hélas, force est de constater que ce raisonnement simpliste est immédiatement mis à mal par les agressions armées contre la Georgie, la Crimée et le Dombas…qui ne sont, de fait, que des annexions de territoires étrangers par la force armée, opérations de type impérialiste.

De même, les interventions militaires contre les opposants à Bachar en territoire syrien relevaient, quand à elles, d’une volonté d’affirmer la Russie comme puissance militaire majeure sur la scène internationale. La Russie est donc bien, aujourd’hui en Ukraine, dans la continuité d’une démarche clairement impérialiste.

Il est certes indéniable que les USA ont immédiatement mesuré l’effet d’aubaine de cette affaire, et tout le profit possible que pouvait leur offrir ce contexte. Biden ne vient-il pas d’ailleurs d’affirmer que « cette guerre pourrait durer des années » ? Un bourbier, en fait. Quelle aubaine en effet serait pour les USA de voir la Russie contrainte à un effort de guerre de longue durée, l’épuisant économiquement et, eu égard au nombre grandissant de morts dans les rangs de son armée, de voir l’opinion publique se retourner contre ses dirigeants.

On comprend donc très bien la volonté américaine de tout mettre en oeuvre pour « coincer » la Russie dans un nouveau gouffre sans fond tel que le fût la guerre en Afghanistan. C’est, bien entendu, en grande partie, le sens du soutien militaire très important apporté au gouvernement de Zelenski.

L’impérialisme occidental très impliqué

Alors que, selon nombre d’observateurs européens, l’OTAN, ne présentant plus l’intérêt qu’il présentait dans les années de « guerre froide », jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, paraissait dépassé, désuet, pour ne pas dire inutile, à un point tel que même le président français se permettait d’ironiser sur cette « coquille vide ».

Evidemment, l’aventure poutinienne est venue brusquement bouleverser la donne. En effet, dans la foulée des premiers jours de l’invasion, la Suède et la Finlande, tous les deux pays voisins de la Russie, qui n’avaient à ce jour jamais jugé utile d’intégrer l’organisation, ont précipitamment demandé leur intégration.

Dans le même temps le Bundestag, parlement allemand, adoptait une modification énorme de la constitution (loi fondamentale) autorisant la création d’un fonds spécial pour l’armée allemande (fonds spécial pour la Bundeswehr). Pour l »Allemagne, pays qui, depuis le dernier conflit mondial, était toujours demeuré sur la réserve quand aux questions touchant à la remilitarisation, il s’agit d’une véritable stratégie du choc. Les montants donnent d’ailleurs le vertige : 100 milliards pour le fonds spécial, dans le budget fédéral, voté à peu près dans le même temps, la part militaire s’élève désormais à 50 milliards et, pour se conformer aux injonctions de L’OTAN, la part des dépenses militaires se montera désormais à 2% du budget général, soit 70 milliards par année ! Il est donc clair que, à son tour, rompant avec une tradition pacifiste du peuple allemand datant de 1945, l’impérialisme allemand, sans mauvais jeu de mots, change son fusil d’épaule et opte pour la militarisation. A cet égard, la déclaration du chancelier Scholz est sans ambigüité : « l’armée allemande va devenir la plus grande armée conventionnelle d’Europe. »

Droit à l’autodétermination, droit inaliénable

De son côté, l’UE en date du 23 juin, s’apprête à envisager favorablement la demande d’adhésion de l’Ukraine, et de la Moldavie à une intégration européenne. Par ailleurs, on sait que l’intégration de l’Ukraine à l’OTAN, qui revient en boucle, est toujours jugée casus belli par l’administration poutinienne.

Il est donc indéniable que les USA œuvrent, et vont œuvrer, à faire évoluer le conflit en regard de leurs propres intérêts : pousser la Russie vers une guerre d’enlisement, vers une augmentation des dépenses militaires partout,  pour la mise en œuvre de plans production-recherche des nouvelles technologies militaires High-level, réaffirmation du rôle stratégique des USA dans la géopolitique mondiale.

Hormis bien sûr les ukrainiens, ce dont semblent se contre-ficher éperdument les « acteurs » impliqués dans le conflit et sa durée, c’est bien la situation qui s’impose aux victimes de cette guerre d’agression; La résistance héroïque dont fait montre à ce jour la population d’Ukraine, pour avoir mis à mal la stratégie de Poutine et son état-major d’une guerre éclair et de la chute de Kiev en huit jours, ne doit en rien cacher que cette guerre est d’abord une guerre contre les peuples. Une victoire des peuples d’Ukraine contre l’invasion serait un encouragement pour la lutte des peuples contre tous les impérialismes sévissant de par le monde et pour l’autodétermination des peuples.

Les visées des USA et de l’UE ne se limitent pas à contraindre la Russie au plan économique par les sanctions et au plan militaire par l’enlisement dans la guerre, leur objectif demeure toujours de circonscrire la Chine. En ce sens, dans la droite ligne de la politique de l’administration Trump, les déclarations récentes de Jo Biden sont sans équivoque.

Qu’on ne s’y trompe pas, la Chine est toujours dans la ligne de tir de l’impérialisme occidental.

Menaces de famine ?

Plus le temps avance, plus dure la guerre en Europe, guerre qui bloque l’exportation des céréales et oléagineux que l’Ukraine exporte normalement dans le monde entier et particulièrement vers le continent africain et le Moyen-Orient, plus les craintes alimentaires sont grandes.

Pour les Nations Unies, c’est le monde entier qui est aujourd’hui menacé « d’un ouragan de famines ».

Quand on sait que, en temps normal, la Russie couvre 30% des exportations mondiales de blé et que, à elle seule, l’Ukraine assure 50% du commerce mondial des oléagineux, graines et huile de tournesol, on comprend aisément que les secousses sismiques provoquées par cette guerre contre l’Ukraine peuvent être très graves pour les populations.

Pourtant, la pénurie qui débute actuellement n’est pas directement liée à un manque de produits alimentaires mais clairement à une spéculation, une flambée des prix !

Le 8 juin dernier, sur Francetvinfo, Arthur Portier, expert international des cours des céréales déclarait : « Du blé il va y avoir, . Il y en a à l’échelle mondiale. Maintenant c’est à quel prix ? »  laissant entendre ainsi l’action de spéculateurs, il ajoutait : »Il y a des troubles sociaux à attendre dans bon nombre de pays. »

Ne perdons pas de vue que ceux qui fixent le prix des céréales sont depuis des décennies, les membres du Chicago Board Of Trade et que c’est donc au fur et à mesure des « prévisions » de l’évolution de la guerre en Ukraine, du blocage ou du déblocage des stocks, qu’avec le plus grand cynisme c’est à Chicago que les financiers, les représentants des banques, décident des prix des céréales et, ce faisant, de la vie de millions de personnes.
Derrière leurs bureaux, dans leurs tours de verre, ces gens sont en fait de vulgaires spéculateurs qui méritent d’être un jour jugés pour ces crimes.