Le Bénin, ancien royaume du trafic de faux médicaments en Afrique de l’Ouest, a lancé un coup de filet sur la filière depuis l’arrivée au pouvoir du président Patrice Talon, en avril 2016. Face à cette lutte farouche, des vendeurs illicites opposent une résistance de ruse.

Le gouvernement de Patrice Talon ne dort pas encore sur ses lauriers ! Pour preuve, la police républicaine a de nouveau arrêté 3 tonnes de faux médicaments à la date du jeudi 24 juin 2021 à Banikoara. Selon la Direction départementale Alibori de la police républicaine, cette saisie découle des informations faisant état du trafic de faux médicaments dans la localité.

De sources concordantes, l’opération PANGEA IX activée en 2017 par le Bénin a abouti à la saisie d’environ 104 tonnes de médicaments dans plusieurs marchés de Porto-Novo à Parakou en passant par Cotonou, le fief. Le démantèlement, courant février 2017, du grand réseau des   »pharmacies à ciel ouvert » au Bénin n’a pas fini de faire écho auprès des Béninois. À ce bilan se sont ajoutées une centaine d’arrestations de vendeurs de faux médicaments et l’interdiction d’exercice notifiée au laboratoire New Cesamex. Les exemples les plus retentissants ont été l’emprisonnement des responsables de compagnies pharmaceutiques et du député Mohamed Atao Hinnouho condamné à une peine de prison assortie d’une amende de 5 milliards de FCFA en novembre 2018.

La politique de Talon paie…

Même si cette lutte contre les faux médicaments a ses racines ancrées dans l’Appel de Cotonou impulsé par l’ancien président français Jacques Chirac en 2009 sous le président Yayi Boni, il aura fallu du temps et un homme. En effet, les réelles hostilités contre l’impunité des trafiquants et le démantèlement du réseau se sont amorcées sous Talon I.  La population a longtemps eu facilement accès à toutes sortes de médicaments, sans ordonnances, mais surtout dans la plupart des cas, contrefaits. « Dans les rayons illicites, on retrouve des antipaludéens, des vitamines, quelques antibiotiques, des antalgiques, etc. », à en croire Ernet Gbaguidi, président de l’association Bénin Santé et Survie du Consommateur. D’après les estimations des diverses organisations de santé, de 40 % à 70 % des médicaments en circulation en Afrique seraient faux ou mal dosés.

Désormais, plus de trace de commerce de médicaments dans les rues, du moins officiellement. Le pays surveille, surprend et sanctionne, mais certains vendeurs de faux médicaments ont trouvé une nouvelle stratégie. L’on trouve des faux médicaments soit dans les marchandises souvent mélangés aux produits cosmétiques, soit dans des sacs bien protégés par des vendeurs à la sauvette craignant la répression du gouvernement.

« Pour acheter les médicaments, il faut qu’on te connaisse, sinon les gens se méfient et ne te vendent rien », explique un conducteur de taxi à Porto-Novo où le constat est palpable. « Quand la police t’attrape, elle va saisir tous tes médicaments ! C’est pour cela qu’il n’y a plus de stand par ici […] Il faut chercher les marchandes qui traversent les allées à pied pour en trouver », ajoute une herboriste installée au marché de Ouando en construction.

Un trafic rentable que la drogue

Dans l’opinion publique, des citoyens affirment que cette guerre contre les faux médicaments sera éternelle. Car, il s’agit d’« un commerce assez enrichissant », justifie une dame anonyme. « Mon époux et moi en tirions, par le passé, le tiers de notre chiffre d’affaires, mais nous avons été contraints d’y mettre fin », a-t-elle précisé. Selon l’Institut international de recherche anti-contrefaçon, la Chine et l’Inde, mais aussi le Nigéria dans une moindre mesure, seraient les principaux fournisseurs de faux médicaments sur le continent.

En juillet 2018, l’Organisation mondiale des douanes et l’Institut de recherche contre le médicament contrefait (IRACM) ont ainsi mené une vaste opération nommée « Vice grip 2 » dans 16 ports africains et qui s’est soldée par une saisie record de 82,4 millions de doses de médicaments contrefaits – dont 82 % venaient de Chine – pour un montant estimé à près de 40 millions de dollars. Le chiffre d’affaires généré par la contrefaçon est estimé au minimum à 10 ou 15 % du marché pharmaceutique mondial, soit 100 à 150 milliards de dollars, voire 200 milliards, affirme une étude du World Economic Forum. « Les bénéfices sont supérieurs à ceux du trafic de drogue », a souligné le président Faure Gnassingbé, lors du Sommet de Lomé qui a abouti à la signature d’une déclaration signée par les présidences du Togo, du Sénégal, d’Ouganda, du Niger, du Ghana et du Congo. Ainsi, maints commerçants, y compris le député Atao selon toute vraisemblance, ont fait fortune dans ce trafic.

Aussi, d’autres préfèrent ces produits pharmaceutiques dangereux en raison de leur caractère bon marché. « Quand j’achète un médicament de fatigue, cela me coûte 150 ou 200 FCFA dans la rue, contre 500 à 800 à la pharmacie. Aujourd’hui, je le fais en cachette », confie un conducteur de taxis moto. Conséquence : dans l’ignorance, des consommateurs se tuent à vil prix, déplore une pharmacienne. Ces faux médicaments recèlent le plus souvent peu de principes actifs voire, selon un docteur, « des substances hautement toxiques ».

À en croire le gouvernement, les actions continuent donc jusqu’à ce jour sur le terrain en collaboration avec des douanes béninoises et des forces de police. Néanmoins, il faudrait mener cette lutte contre le trafic illicite avec la lutte contre la pauvreté, le chômage et des actions pour rendre plus accessibles des médicaments autorisés aux moins nantis. Et pourquoi pas la promotion de la pharmacopée traditionnelle et des plantes médicinales plus accessibles ?

Abdel Karim