Penser, l’avenir d’une Afrique

Et l’on ne compte plus les appels à repenser les systèmes de santé, à structurer autrement l’économie des États africains, sans compter les textes individuels produits par des intellectuels sur les défis à relever par l’Afrique, pour sortir plus forte du Covid-19. Pourquoi, alors, soutenir que cela ne suffira pas à éviter au continent de tomber dans les pièges classiques ?

Pour espérer voir émerger de cette effervescence intellectuelle une Afrique qui se prenne suffisamment en charge pour ne plus dépendre autant de la générosité des autres, l’intelligentsia africaine se doit d’imposer ses réflexions aux dirigeants politiques. Pour cela, il lui faut être assez audible pour emporter l’adhésion des peuples. D’autant que bien trop de chefs d’État méprisent encore le rôle, essentiel, des intellectuels, pour penser la société et la rendre meilleure, et pour esquisser le futur des nations.

Nombre de dirigeants politiques ne voient en l’intelligentsia que des contestataires-nés, que l’on tolère, sans s’attarder outre mesure sur la pertinence de leur réflexion. Dans cette période critique que vit la planète, ils ont, en effet, l’impérieux devoir d’imposer leur production hors des amphithéâtres et des laboratoires.

Que leur manque-t-il donc, pour emporter l’adhésion des peuples ?

Il leur faut frapper les imaginations, par un discours réellement percutant. En dressant, par exemple, un tableau le plus fidèle, possible, de la réalité du niveau de vulnérabilité des populations et des Etats, du fait de la pandémie. En expliquant comment on survit, confiné, dans tel environnement où il faut gagner, au jour le jour, de quoi nourrir sa famille. En indiquant comment se soigner dans un pays où plus de 80% de la population ne bénéficie d’aucune protection sociale. En révélant le dénuement de certains Etats, dépourvus d’épargne, et disposant de peu d’actifs.

Il ne s’agit pas d’alarmer les populations. Mais ce panorama complet de la situation réelle des États et du continent permettra de distinguer les nations solides de celles qu’un ancien chef d’État ouest-africain qualifie, volontiers, de bantoustans.

Les Africains pourraient ainsi identifier les pays où ils ont une chance d’être bien soignés, ou d’être bien formés, et ceux où ils peuvent trouver des produits adaptés à leurs besoins essentiels. Car, s’il est une leçon que l’Afrique tire déjà de la période que traverse le monde : c’est qu’il n’y a rien de plus dangereux que d’être confiné dans un pays où l’on est mal soigné, sur un territoire où l’on est mal formé, dans des frontières où son bulletin de vote n’a aucune valeur.

Aux intellectuels, désormais, de bien poser les problèmes et, pourquoi pas, de décliner leurs travaux en projets ou stratégies exploitables.

Vous demandez donc à l’intelligentsia de se substituer aux États ?… Non. Pas. Mais de proposer des solutions suffisamment convaincantes pour que les populations puissent questionner leurs gouvernements sur l’improvisation, là où des solutions existent.

Il faut penser la santé, penser l’éducation, penser l’agriculture, et proposer, en face de ce qui n’a pas marché, les réussites, sous d’autres latitudes, ou dans le pays voisin.

Il s’agit, en même temps, de penser une Afrique libre et autonome dans ses choix, au lieu de vouloir à tout prix calquer l’histoire des autres sur ce continent. L’Afrique n’a jamais eu autant besoin de se penser par elle-même, plutôt qu’en fonction de doctrines et idéologies qui s’affrontent ailleurs.